100 idées pour améliorer le Québec Aider les familles

Un vaste chantier auquel s’attaquer

« Comment améliorer la vie des familles ? » Voilà une vaste question qui interpelle plusieurs disciplines.

Pour le juriste que je suis, la réponse tient en quelques mots : on peut améliorer la vie des familles en harmonisant le droit aux réalités qui sont les leurs. Il est presque gênant de répondre à une question aussi riche par une affirmation dont l’évidence crève les yeux. Pour conserver son efficience, le droit doit bien sûr refléter les réalités sociales ; les règles qui le composent doivent constituer autant de réponses aux besoins actuels des justiciables.

En matière familiale, il semble toutefois que les principes les plus élémentaires cèdent devant les calculs politiques et électoralistes des gouvernements. Voilà plus de 30 ans que les fondements du droit de la famille énoncés au Code civil n’ont pas été revus.

Et trois ans se sont écoulés depuis que les 82 recommandations du Comité consultatif sur le droit de la famille (CCDF) ont été déposées auprès du gouvernement du Québec, sans que la moindre suite n’y ait été donnée. Visiblement, les votes qu’on pourrait perdre en s’attaquant aux enjeux sensibles et polarisants que soulève la réforme du droit familial pèsent plus lourd que les injustices auxquelles nos règles anachroniques exposent les familles et les enfants.

Mariage et union de fait

Le Code civil prévoit différentes mesures juridiques au profit des conjoints unis par le mariage. Pensons, par exemple, au patrimoine familial, à la protection de la résidence familiale et à la prestation compensatoire. Les conjoints de fait ne sont quant à eux soumis à aucun droit ou obligation mutuel, peu importe qu’ils aient ou non des enfants. À l’époque où le mariage constituait un passage obligé pour tous ceux et celles qui voulaient fonder une famille, il était tout à fait légitime d’en faire l’unique porte d’entrée du droit de la famille. Mais dans un contexte social où l’union de fait ne cesse de gagner en popularité et où près de 60 % des enfants naissent hors mariage, une telle orientation ne fait plus de sens.

Selon le CCDF, l’application impérative des mesures de protection juridique ne devrait plus être fonction du statut matrimonial du couple, mais de la présence d’un enfant. 

Pourquoi ? D’une part, parce que l’enfant représente désormais l’événement fondateur de la famille, peu importe la forme juridique du couple dont il est issu. D’autre part, parce que c’est l’investissement parental auprès de l’enfant qui entraînera généralement les désavantages économiques auxquels les mesures de protection du droit de la famille sont appelées à répondre. Aux termes de la réforme proposée par le CCDF, les conjoints seraient donc libres d’aménager le cadre juridique de leur relation comme ils l’entendent, qu’ils soient mariés ou en union de fait, mais dès lors qu’un enfant commun s’ajouterait au portrait de famille, des mesures s’appliqueraient d’office pour assurer la protection de celui qui, en raison du rôle parental prépondérant assumé auprès de l’enfant, se retrouverait désavantagé par rapport à l’autre.

Filiation, parentalité et famille recomposée

Le Code civil aborde les questions de filiation et de parentalité en ignorant trop souvent l’intérêt et les droits du sujet qui devraient pourtant en être le bénéficiaire, c’est-à-dire l’enfant. Alors que la gestation pour autrui fait l’objet de législations dans un grand nombre d’États, le droit québécois se borne à frapper les « contrats de mère porteuse » de nullité absolue, obligeant les tribunaux à recourir au cadre inadapté de l’adoption pour permettre à l’enfant de bénéficier d’une filiation avec ses parents d’intention. Alors que les recompositions familiales sont légion et que l’enfant est aujourd’hui appelé à développer des liens significatifs avec un ou plusieurs beaux-parents, le Code civil continue d’en ignorer l’importance en leur refusant tout statut particulier.

Et que dire du droit de l’enfant à la connaissance de ses origines que le Québec continue de nier aux enfants issus de la procréation assistée, après l’avoir enfin accordé aux enfants adoptés ?

La quête identitaire des premiers est pourtant tout aussi légitime que celle des seconds. Tous ces enjeux, et bien d’autres, ont été spécifiquement abordés par le CCDF, sans susciter la moindre réaction des autorités gouvernementales.

Laxisme gouvernemental et Commission citoyenne

Ce printemps, face à l’inaction du gouvernement du Québec, la Chambre des notaires a décidé de tenir, à ses frais, des consultations publiques sur le droit de la famille. Deux coprésidents (Me Jean-Paul Dutrisac et moi-même) et cinq commissaires provenant de différents horizons disciplinaires ont sillonné le Québec pour recueillir le point de vue des citoyens et citoyennes et des organismes. Les échanges d’une grande richesse qui ont eu lieu dans le cadre de cette commission citoyenne seront rendus publics au cours des prochaines semaines à l’intention, notamment, des partis politiques. 

Au-delà des difficultés résultant du caractère nettement anachronique du droit substantiel, on y découvrira d’autres données sensibles, dont le profond sentiment d’injustice que plusieurs justiciables ressentent devant les problèmes d’accès à la justice familiale.

Muni des recommandations du CCDF et du rapport de la Commission citoyenne, le prochain gouvernement aura définitivement tout en main pour s’attaquer au vaste chantier que constitue la réforme du droit de la famille. Reste seulement à espérer qu’il soit pourvu du courage et de la volonté politique qui ont cruellement manqué au gouvernement actuel.

* Président du Comité consultatif sur le droit de la famille 2013-2015

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